Ostéoporose : des traitements pas anodins
Publié par MedeSpaceNews le Avril 07 2012 14:00:21
Certains médicaments peuvent entraîner plusieurs complications, notamment des troubles ophtalmiques.

Depuis plus de quinze ans, les médicaments de la famille des biphosphonates sont de plus en plus prescrits pour prévenir l'ostéoporose. Des millions de femmes ménopausées en prennent dans le monde, pour réduire le risque de fractures liées à l'âge. Or ces molécules efficaces ne seraient pas dénuées de complications, comme on le croyait au départ. «Aucun médicament n'est anodin. En plus de ses effets bénéfiques existe un cortège d'effets indésirables qu'il convient de connaître pour mieux les gérer», rappelle le Pr Jean Calop, professeur de pharmacie clinique à la faculté de pharmacie de Grenoble.

Les biphosphonates, médicaments contre l'ostéoporose mais aussi utilisés pour prévenir des problèmes osseux chez les malades atteints d'un cancer, ne font pas exception à la règle. Déjà connus pour provoquer des nécroses de la mâchoire et des fractures atypiques, ces molécules augmenteraient le risque de développer des uvéites et des sclérites, selon une étude canadienne publiée le 2 avril dans le Canadian Medical Association Journal(CMAJ).

L'uvéite correspond à une inflammation de l'uvée (tunique intermédiaire de l'œil). Cela concerne l'iris, les corps ciliaires et la choroïde. La sclérite touche la sclère qui est la tunique externe du globe oculaire formant le blanc de l'œil. «Cet effet indésirable est bien connu. Il est répertorié dans le résumé des caractéristiques produits, qui est le résumé de l'autorisation de mise sur le marché», précise au FigaroCatherine Deguines, responsable de l'unité de médicaments en rhumatologie de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. Mais c'est la première fois qu'une étude en évalue la fréquence. Pour cela, les scientifiques ont mené une étude épidémiologique auprès de 934.147 personnes s'étant rendues chez un ophtalmologue entre 2000 et 2007 en Colombie-Britannique. Sur ce total, 10.827 prenaient des biphosphonates pour la première fois et 923.320 n'en avaient jamais pris. Parmi les utilisateurs de biphosphonates, l'incidence des uvéites s'élevait à 29/10.000 années-personnes, celle des sclérites à 63/10.000 années-personnes. Elle était de 20/10.000 pour l'uvéite et de 36/10.000 pour la sclérite chez les personnes non traitées par biphosphonates. «Certes, la fréquence s'élève de 50% pour l'uvéite mais, attention, cette affection est très rare au départ», souligne le Pr Bernard Bannwarth, rhumatologue au CHU de Bordeaux. «Autrement dit, il faut traiter 1100 patients pour qu'une uvéite apparaisse. Pour la sclérite, c'est 370 patients qui doivent être traités. Mais ce nombre me paraît surestimé.» Ces inflammations ne sont pas bénignes, mais pour les spécialistes, il n'y a surtout pas lieu de s'alarmer. «D'autant que les effets indésirables ophtalmiques apparaissent tôt après le début du traitement et se terminent vite dès lors qu'il est arrêté», insiste le Pr François Chast, chef du service pharmacologie-toxicologie de l'Hôtel-Dieu à Paris. Inutile donc de mettre en place des mesures de surveillance particulières. «Mais un patient sous biphosphonate dont l'œil est rouge et douloureux doit consulter un médecin», souligne le Pr Chast.

Ces études pharmaco-épidémiologiques permettent avant tout de connaître la fréquence des effets indésirables sur une large population et de mieux évaluer le rapport risques/bénéfices des médicaments. «Elles sont d'autant plus nécessaires pour ces médicaments très largement utilisés dans l'ostéoporose post-ménopausique, ou cortico-induite», estime Jean Calop. Car, rappelle Bernard Bannwarth, il est impossible d'avoir détecté ces événements rares avant la mise sur le marché des médicaments. Les essais cliniques sont réalisés sur un nombre trop faible de malades pour les repérer. C'est uniquement après la commercialisation, dans la «vraie vie» qu'il est possible de les détecter grâce à la pharmacovigilance et aux études de suivi.
Fractures atypiques du fémur

Pour les biphosphonates destinés à éviter les fractures provoquées par l'ostéoporose, l'apparition de fractures atypiques du fémur a donné lieu l'année dernière à une mise au point de l'Afssaps. «Ces effets indésirables qui, j'insiste, restent exceptionnels nous aident à traiter le malade différemment. Nous apprenons à connaître le médicament, à mieux le prescrire», estime Bernard Bannwarth.

La découverte d'effets indésirables possède aussi une autre vertu: cela permet aux médecins et aux malades de s'interroger sur le bien-fondé d'une prescription de médicament. «Les biphosphonates ont pris leur envol au moment où les traitements hormonaux substitutifs étaient sur la sellette. L'enthousiasme des années 1990 fait place aujourd'hui à plus de circonspection», constate François Chast.

lefigaro.fr