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Contrôle des voies aériennes pour l’anesthésie d’urgence

Le contrôle des voies aériennes pour une anesthésie en urgence doit répondre à de nombreux impératifs : en premier lieu, la nécessité d’établir la perméabilité des voies aériennes pour une intervention chirurgicale sous anesthésie générale qui ne peut être différée, mais aussi la gestion d’un désordre général possible surajouté comme une détresse respiratoire, un état de choc, un trouble de la conscience ou toute autre pathologie imposant l’intubation trachéale et la ventilation artificielle.

Une cause importante de morbidité et de mortalité au cours de l’anesthésie générale est le défaut de prise en charge adaptée des voies aériennes [1]. En effet, le contrôle des voies
aériennes chez le patient nécessitant une intervention chirurgicale et une anesthésie générale urgentes est toujours plus difficile que chez le patient de chirurgie réglée, et ce pour plusieurs raisons. Par définition, il existe un caractère d’urgence avec mise en jeu possible du pronostic vital, la prédiction du caractère difficile de l’intubation est moins aisée pour les mêmes raisons, l’intubation s’effectue toujours dans un contexte “d’estomac plein” avec un risque élevé d’inhalation bronchique influençant grandement la technique d’intubation et la technique d’anesthésie ; enfin, la technique d’intubation
devra tenir compte des lésions supposées ou avérées du patient, en particulier en cas d’atteinte du rachis cervical.

Ainsi, il est nécessaire de pouvoir faire face à une intubation difficile prévue ou imprévue en ayant à sa disposition un éventail suffisant de techniques d’intubation, des moyens d’oxygénation satisfaisants et des algorithmes décisionnels préétablis à partir de documents issus de la conférence d’experts de la Société Française d’Anesthésie et de Réanimation (SFAR) [2] ou de l’American Society of Anesthesiologists (ASA) [3].

Prédiction de l’intubation difficile

L’évaluation en urgence du caractère difficile ou non de l’intubation est plus délicate que pour la chirurgie réglée mais envisageable dans 75 à 80 % dans cas [4]. L’obstruction patente des voies aériennes est, le plus souvent, provoquée par le déplacement postérieur de la langue, de l’épiglotte ou des tissus mous périglottiques en raison d’un trouble de conscience quelle qu’en soit sa nature.

L’autre mécanisme à l’origine d’une telle obstruction résulte des lésions de la face, du cou ou du thorax, entraînant soit une dilacération importante des tissus mous, soit des hématomes compressifs, mais peut également être la conséquence d’une hémorragie, de sécrétions abondantes, de la présence d’un corps étranger, de fragments dentaires, de fragments osseux ou cartilagineux. La désobstruction des voies aériennes par la méthode la plus adaptée par rapport au mécanisme causal sera effectuée sans délai en sachant
que le déplacement antérieur de la mandibule et/ou la mise en décubitus latéral peuvent améliorer la condition respiratoire du patient en attendant l’intubation trachéale.

L’obstruction des voies aériennes peut être initialement absente mais se développer avec la constitution d’hématome, d’oedème ou d’emphysème sous-cutané compromettant la perméabilité des voies aériennes. A ce titre, ils doivent être périodiquement recherchés et dépistés précocement afin de contrôler les voies aériennes dans de bonnes conditions.
Les critères prédictifs habituels de l’intubation difficile sont plus difficilement exploitables dans ce contexte. Ils reposent sur l’évaluation de l’ouverture de bouche et l’analyse des structures oropharyngées avec la classification de Mallampati [5] modifiée par Samsoon [6], classification validée en position assise et confirmée par la suite comme la position donnant la meilleure performance diagnostique [7]. Ce point méthodologique limite
beaucoup la réalisation et la fiabilité de cette classification dans un contexte d’urgence.

L’autre axe d’analyse de la prédiction de l’intubation difficile repose sur l’évaluation de la mobilité du rachis cervical par la classification de Bellhouse-Dore [8] et/ou par la mesure de la distance thyro-mentonnière avec la tête en extension [2, 7]. Mais ce critère ne peut ni ne doit être recherché dans un contexte de possible lésion du rachis cervical. Enfin, dernier écueil commun à toutes ces classifications, elles associent un stade de la classification à une probabilité de difficulté de laryngoscopie et non directement à une probabilité de difficulté d’intubation trachéale. Or, de nombreux facteurs interfèrent entre la laryngoscopie et la réalisation de l’intubation trachéale, notamment en raison d’éventuelles modifications anatomiques des voies aériennes (oedème, hématome en particulier).

Intubation et estomac plein

La notion d’estomac plein au cours de la prise en charge de patients au cours de l’urgence est une constante, avec par conséquent un risque accru de pneumopathie d’inhalation. En effet, toutes les circonstances favorisant l’estomac plein et l’inhalation sont réunies dans un tel contexte : le caractère imprévu de l’accident possiblement après un repas, le stress et la douleur dus aux traumatismes associés, la consommation d’alcool ou de médicaments ralentissant la vidange gastrique, la présence fréquente de troubles de conscience, les manoeuvres répétées de ventilation au masque, l’élévation de la pression intraabdominale provoquée par un iléus, etc. Par ailleurs, les facteurs de mauvais pronostic en cas d’inhalation du liquide gastrique sont le volume élevé et le pH acide, les seuils sont discutés ; il semblerait qu’un volume supérieur à 0,4 ml/kg et un pH inférieur à 2,5 soient reconnus comme des seuils critiques [4] en sachant qu’un pH plus acide nécessitera un volume moindre, et inversement, pour entraîner des lésions équivalentes.

L’incidence de l’inhalation bronchique au cours de la chirurgie réglée est inférieure à 5
cas pour 10 000 anesthésies ; en cas d’urgence, l’incidence augmente nettement (1 à 1,5 pour 1 000) et, surtout, la mortalité directement imputable à l’inhalation est proche de 5 % [9].

La prévention de l’inhalation passe essentiellement par l’intubation trachéale de ces patients ; la nécessité d’intervention chirurgicale urgente ou les détresses vitales du patient renforcent cette attitude et rendent illusoires, voire dangereuses, les autres mesures prophylactiques qui nécessitent un délai d’action comme le jeûne. Les appoints pharmacologiques visant à accélérer la vidange gastrique ou à diminuer l’acidité gastrique peuvent néanmoins être utilisés. Dans cette optique, l’évacuation de la majeure partie du liquide gastrique avec une sonde est la mesure prophylactique immédiatement applicable et la plus efficace.

La manoeuvre de Sellick permet de diminuer le risque d’inhalation bronchique. Cette manoeuvre doit faire partie intégrante de toute procédure du contrôle des voies aériennes chez les sujets à risque d’inhalation bronchique. Elle s’effectue en appliquant une pression sur le cartilage cricoïde avec le pouce et l’index. Cette pression entraîne un contact entre le cartilage cricoïde et le corps vertébral de C6 dans sa partie antérieure, obturant ainsi l’oesophage et diminuant le risque de régurgitation. Pour obtenir une efficacité maximale de cette manoeuvre, il est nécessaire que la tête soit en hyperextension, augmentant ainsi la convexité antérieure du rachis cervical afin que la pression soit effective sur le cartilage cricoïde et puisse être transmise de façon optimale pour obturer l’oesophage. Par ailleurs, c’est dans ces conditions que la pression a une intensité maximale : en effet, une force de 44 Newtons (environ 4,5 kg) est nécessaire pour obturer efficacement l’oesophage chez 50 % des adultes [4].

La manoeuvre de Sellick doit être réalisée pendant toute la période précédant l’intubation.
Les contre-indications à la réalisation de la manoeuvre de Sellick sont l’existence de vomissements actifs, la présence d’un corps étranger et les lésions des voies aériennes, en particulier au niveau de la jonction cricotrachéale. Cette manoeuvre peut entraîner une disjonction cricotrachéale complète avec l’impossibilité de ventiler le patient. La suspicion de fracture instable du rachis cervical notamment au niveau C5-C6 doit inciter à la plus grande prudence. Dans ce cas, la manoeuvre pourra éventuellement être réalisée à deux mains, la deuxième main servant de contre-appui pour prévenir la mobilisation du rachis cervical.

Mais, en aucun cas, une mesure prophylactique, quelle qu’en soit la nature, ne prévient l’inhalation bronchique ; c’est pourquoi l’intubation trachéale dans ce contexte doit être bien codifiée et reposer essentiellement sur deux techniques : l’intubation vigile et, surtout, l’induction en séquence rapide.

Algorithmes décisionnels

Afin de faire face à l’intubation trachéale difficile, de nombreuses techniques ont été proposées. Des algorithmes d’aide à la décision ont surtout été établis par des sociétés savantes comme la Société Française d’Anesthésie et de Réanimation (SFAR) [2] et l’American Society of Anesthesiologists (ASA) [3].

Les algorithmes de la SFAR ont été accompagnés de recommandations sur le dépistage de l’intubation difficile, la composition du chariot d’intubation difficile (Tabl. I) ou l’enseignement [2].



Certains principes élémentaires doivent être rappelés. Ils doivent être mis en oeuvre quel que soit l’algorithme décisionnel choisi et quelles que soient les conditions.
Le premier principe est d’envisager à chaque étape d’un algorithme la possibilité de réveiller le patient et de reporter, voire d’annuler, l’intervention.

Les drames de l’intubation difficile sont en effet souvent la résultante de plusieurs incidents qui se cumulent pour obtenir un véritable accident mettant en jeu le pronostic vital. La difficulté d’intubation n’est souvent que le premier de ces incidents, pas toujours le plus déterminant et, les tentatives multiples et infructueuses d’intubation peuvent notamment aggraver une situation et aboutir à un point de non-retour qui aurait pu être évité par une décision précoce de réveil [10]. Le risque de ventilation au masque impossible devient important après trois essais infructueux d’intubation [2, 10].

Le deuxième principe est d’avoir prévu à l’avance un algorithme décisionnel afin que l’attitude adoptée suive une démarche logique, adaptée à la situation, et aux compétences techniques de l’anesthésiste-réanimateur. Cette étape est importante et a été soulignée par l’expertise collective de la SFAR qui, à côté d’un algorithme proposé, suggérait la possibilité d’un algorithme personnel [2].

Le troisième principe consiste à prévoir les conditions de sécurité du patient. Ce dernier point nécessite d’avoir prévu l’appel à des secours (des yeux et des mains supplémentaires, des compétences additionnelles) et le monitorage du patient. Ce monitorage comprend la surveillance de l’oxygénation du patient (SpO2) et celui de la profondeur de l’anesthésie (clinique, hémodynamique) et s’associe à la surveillance de l’administration des agents anesthésiques, en particulier des agents volatils et des agents
intraveineux administrés par seringue électrique. Il est en effet difficile pour la même personne de se consacrer aux tâches de l’intubation difficile et à celles de la surveillance du patient. La répartition des tâches est un point important qui doit être mis en place très rapidement lorsque l’on est confronté inopinément à une intubation difficile, a fortiori lorsque celle-ci est prévue à l’avance, même, voire surtout, dans le cadre de l’urgence.

Techniques de contrôle des voies aériennes


Avant de procéder à l’intubation du patient, deux questions majeures se posent :

- Existe-t-il une lésion du rachis cervical ?
- Quelle voie d’intubation choisir : orale ou nasale ?

Le dogme de l’intubation nasotrachéale en cas de lésion du rachis cervical suspectée ou avérée est remis en question car cette voie peut être difficile et présente certains inconvénients (Tabl. II). La voie nasotrachéale peut être pratiquée dans de rares cas, chez certains polytraumatisés coopérants ayant une ventilation spontanée, ne présentant pas de lésions cranio-faciales complexes, et chez qui une anesthésie locale de très bonne qualité peut être effectuée.

Malgré son apparente facilité, cette technique requiert du temps pour sa réalisation et, surtout, de l’expérience pour sa réussite. La voie orale avec séquence d’induction rapide est requise dans la majorité des cas et s’effectue en plusieurs phases : l’installation, la préoxygénation, l’induction, la manoeuvre de Sellick, puis l’intubation trachéale du patient.
L’installation est marquée par le positionnement de la tête (en haut à + 30 à 40° ou en bas), par l’évacuation du contenu gastrique avec une sonde, celle-ci pouvant être enlevée ou laissée en place selon les auteurs, cette manoeuvre permettant aussi de vérifier le bon fonctionnement du dispositif d’aspiration. La préoxygénation est réalisée avec une FiO2 de 100 % pendant 3 à 5 minutes ou par 4 inspirations profondes (correspondant à la capacité vitale), ce qui permet une dénitrogénation équivalente à celle de la préoxygénation habituelle en l’absence de pathologie respiratoire préexistante. La manoeuvre de Sellick
est débutée lors de l’induction et poursuivie jusqu’au moment où la sonde d’intubation est en place et le ballonnet gonflé. Certains patients peuvent être hypoxémiques malgré la préoxygénation et peuvent nécessiter la ventilation au masque avant l’intubation afin de prévenir une majoration de cette hypoxémie ; dans ce cas, la manoeuvre de Sellick devra être effectuée lors de la ventilation afin de prévenir toute insufflation gastrique. Les agents anesthésiques pour l’induction doivent être choisis en fonction de l’état clinique du patient, en particulier hémodynamique, avec un hypnotique comme le thiopental, la kétamine, l’étomidate, le midazolam ou le propofol, et un curare, la succinylcholine. Les protocoles de sédation les plus fréquemment utilisés en urgence par le SAMU ont été évalués par Adnet et coll. [11] chez 238 patients.

Il y avait six catégories de protocole de sédation :

1) séquence rapide d’intubation avec la succinylcholine associée à un hypnotique dans 9 % des cas ;
2) étomidate seul dans 4 % des cas ;
3) midazolam seul dans 29 % des cas ;
4) étomidate et midazolam dans 44 % des cas ;
5) thiopental seul dans 5 % des cas ;
6) propofol seul dans 9 % des cas.

L’association étomidate-midazolam est donc largement majoritaire pour une sédation en préhospitalier [11]. La pratique d’une séquence rapide d’intubation avec la succinylcholine associée à un hypnotique, en général l’étomidate ou la kétamine pour leur relative bonne tolérance hémodynamique, est habituellement la règle en pré-hospitalier. La succinylcholine est préférée aux autres curares de par sa courte durée d’action qui, en cas d’échec de l’intubation trachéale, permettra une récupération possiblement salvatrice de la
ventilation spontanée.
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