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Les secrets de la machine Nutella |
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| Addiction. Comment la pâte à tartiner, cauchemar des nutritionnistes, est devenue un succès planétaire."Le Nutella ? C'est une drogue dure ! J'en ai donné à mon chien. Il était comme fou et m'a suivi pendant des heures !" Pierre Dukan, le médecin, auteur du fameux régime, n'y va pas avec le dos de la cuillère. Son chien n'est pas seul à avoir succombé. Le pot de Nutella atterrit dans le chariot de trois familles françaises sur quatre. Les "dealers" ont, il est vrai, pignon sur rue : 5 000 points de vente en France. Nutella détient 85 % du marché de la pâte à tartiner. Le pot est dans toutes les cuisines, toutes les crêperies. Une domination commerciale inédite dans un univers où la concurrence fait rage.
Internet est l'une des vitrines de cet extravagant succès. Saisir Nutella sur Google déclenche une avalanche de 31 millions de résultats. Sur Facebook, sa page compte près de 11 millions de fans. Gloire suprême : l'existence depuis quatre ans d'une journée internationale du Nutella, le 5 février, le Nutella Day. L'initiative d'un fan et non des communicants de Ferrero, qui s'en amusent : eux auraient choisi le 2 février, jour de la Chandeleur !
Le culte du secret ?
Y a-t-il dans le Nutella quelque ingrédient mystérieux qui nous rende accros ? La question se pose avec d'autant plus d'acuité que le secret fait partie de l'ADN de l'entreprise. Elle n'est pas cotée en Bourse, son capital étant détenu à 100 % par la famille. Pour conserver la main sur le process de fabrication, Michele Ferrero, le fils du fondateur, a créé sa propre filiale d'ingénierie, Ferrero Ingegneria, qui achète, installe, voire invente les machines destinées aux sites de production. Parano, Ferrero ? Dans la filiale française, on se veut accueillant. Le culte du secret ? "Ce n'est pas une politique, plutôt une tradition, assure Christophe Bordin, responsable des relations extérieures de Ferrero France. Elle est tellement ancrée que lorsqu'un de nos salariés est interviewé par un journaliste, nous sommes obligés de lui préciser qu'il doit surtout dire ce qu'il veut !" Résultat, après deux mois d'attente : la maison mère en Italie finit par donner au Point l'autorisation de visiter l'usine de Villers-Écalles, en Seine-Maritime, la plus grosse usine de production du monde. Elle ravitaille un tiers des aficionados de la planète !
La fameuse recette, la voici : d'abord les noisettes, broyées jusqu'à obtenir une pâte, le manteca. Ajoutez huile de palme, cacao, lait écrémé en poudre, lactosérum, sucre, vanille, et mixez le tout pour obtenir de la "farine de Nutella". Encore de l'huile de palme et une pincée de lécithine de soja. Laissez reposer trois jours. Servez à température ambiante sur du pain. À croire qu'on pourrait le faire chez soi..."Il n'y a aucune substance secrète, c'est un mythe !" jure Jean-Marc Da Cunha, responsable qualité et environnement chez Ferrero France.
Classée top secret
Pas d'additif caché, mais une montagne de détails à toutes les étapes de production : choix des matières premières, dosage, température, réglage au millimètre des machines... De quoi faire s'arracher les cheveux aux fabricants de marques de distributeurs, qui désespèrent d'égaler la recette un jour. Mais ces fameux détails qui font la différence, on n'aura pas le droit de les connaître. "Si on ne vous montre pas cette partie, c'est juste qu'il n'y a rien à voir. Des cuves en Inox, des tuyaux, c'est sans intérêt", se défend Christophe Bordin. En fait, c'est la maison mère en Italie qui s'est opposée à ce que l'on accède à cette partie de l'usine, classée top secret.
On se contentera donc des cinq gigantesques silos scellés, remplis chacun de 60 tonnes de pâte prête à se déverser dans des pots défilant dans un tintamarre de verres entrechoqués. Chaque jour, à Villers-Écalles, près d'un million de pots sont remplis avant d'être stockés trois jours pour cristallisation, ce qui donne à "la Nutella", comme on l'appelle ici et en Italie, son onctuosité. En attente de livraison, une cathédrale de Nutella : 8 000 palettes. Sur la production annuelle de 100 000 tonnes, 70 % resteront en France. Car les Français sont les premiers accros, devant les Allemands et les Italiens : 26 % de la production mondiale, soit 300 000 tonnes, finissent sur nos tartines et nos crêpes. Depuis quarante ans, Nutella est ici le roi du goûter !
Du gras et du sucre
Et ce n'est pas fini ! "Il y a sept ans, nous avons réussi à l'introduire dans une consommation quotidienne au petit déjeuner", se félicite Frédéric Thil, directeur général de Ferrero France. À grand renfort de publicité, car Ferrero détient le plus gros budget publicitaire du secteur alimentaire : près de 207 millions d'euros, dont 44 millions rien que pour Nutella. Ses slogans "De l'énergie pour penser et se dépenser", "Chaque jour du bonheur à tartiner" ou "Il en faut de l'énergie pour être un enfant" sont destinés à faire du pot patatoïde l'aliment indispensable à la croissance des petits et à la bonne humeur des grands.
Nutella n'a pourtant pas que des supporters. La pâte à tartiner, malgré les noisettes et le verre de lait qui ornent son étiquette, ne contient que 13 % des premières et 6 % du second. Nutella, c'est du gras et du sucre, à 60 % ! En février, une mère de famille californienne s'en émeut et dépose plainte contre Ferrero pour "publicité mensongère". Elle réclame l'interdiction des allégations "bonne pour la santé", "équilibrée"...
Royaume des calories
De ce côté de l'Atlantique, nul ne songe à porter plainte. Question de moeurs. Mais, à l'heure du "mangez moins gras, moins sucré" du Plan national nutrition santé, le Nutella est dans le collimateur. "Il est devenu un produit symbolique, pour comprendre en particulier l'obésité infantile, contre laquelle on cherche souvent un bouc émissaire", explique le docteur Frédéric Saldmann, cardiologue et nutritionniste à l'hôpital Georges-Pompidou. De fait, au royaume des calories, le Nutella est indétrônable : 530 calories pour 100 grammes. "L'obésité infantile n'est pas du tout maîtrisée, au mieux elle stagne. Environ 14 % des enfants sont obèses ou en surpoids, s'emporte Olivier Andrault, responsable de l'alimentation, de l'agriculture et de la nutrition à l'UFC Que choisir. Ferrero constitue un acteur majeur et féroce qui va à l'encontre d'une bonne nutrition." Selon lui, la réglementation est insuffisante : "Il faut un étiquetage nutritionnel plus clair. On n'a pas avancé d'un iota. Les lobbyistes des géants industriels comme Ferrero, mais il n'est bien sûr pas le seul, sont écoutés."
Chez Ferrero, on ne se démonte pas : "L'obésité n'est pas liée à la consommation de Nutella ou d'un produit en tant que tel. D'ailleurs, nous sommes sous-consommés chez les obèses !" assène Joane Husson, directrice des affaires publiques de Ferrero France. Pas question non plus d'en rajouter sur l'étiquette. "Sont-elles réellement lues ? Elles regorgent de tant d'informations qu'elles en deviennent incompréhensibles. Ça ne servirait qu'à transmettre davantage de messages anxiogènes aux foyers les plus en difficulté, les premières victimes de l'obésité."
Devoir d'information
Les recommandations de Ferrero pour le petit déjeuner sont de 2 tartines, soit 30 grammes de Nutella. "À cette dose, le Nutella est effectivement sans danger, admet le docteur Saldmann. Mais comment demander à un enfant de ne mettre que 15 grammes sur sa tartine lorsqu'il a le pot grand ouvert devant lui ? C'est ridicule ! s'agace le médecin. Si, demain, Ferrero donne une réelle possibilité au consommateur de respecter la dose qu'il recommande, avec un bouchon doseur par exemple, il deviendrait alors un modèle." Mieux : selon lui, à l'image des industriels qui ont fini par diminuer les teneurs en sel, "Ferrero pourrait travailler sur sa formulation, habituer progressivement les enfants à un seuil de sucre moins élevé et donner autant de plaisir avec moins de calories". Le confiseur ne nie pas sa responsabilité, mais, selon Joane Husson, il s'agit surtout d'un "devoir d'information et d'éducation, notamment auprès des parents".
Alors, pour peaufiner son image, Ferrero France investit dans des programmes de recherche menés à l'Inra, qui cherche à détecter les facteurs favorisant le développement de l'obésité, ou dans des programmes éducatifs comme Epode (Ensemble prévenons l'obésité des enfants) ou ceux de l'Association nationale de développement des épiceries solidaires. L'entreprise dépense 500 000 euros par an pour ces opérations. Une paille, comparé à son budget promo.
Risques cardio-vasculaires
En 2008, la maison mère a même demandé à la Commission européenne l'autorisation de faire figurer sur ses Kinder l'allégation "aide à grandir". Ces Kinder que le docteur Dukan considère comme "diaboliques" : "Pensez : mettre un jouet à l'intérieur d'une friandise !" La Commission a refusé. Chez Ferrero France, on s'en félicite : "Nous n'approuvons pas du tout ce type d'allégation. En France, depuis longtemps, il y a une forte sensibilisation au problème de l'obésité, mais en Italie, par exemple, c'est tout récent, explique Joane Husson. Les allégations hautement critiquables subsistent encore dans les pays où l'on considère toujours qu'un enfant gros est un enfant en bonne santé."
Nutella n'est pas seulement accusé de faire grossir nos enfants. Derrière le composant "huiles végétales", on trouve surtout de l'huile de palme. Celle-là même qui contient les graisses saturées que les nutritionnistes accusent de favoriser les risques cardio-vasculaires. Elle est aussi vilipendée par les associations écologistes : pour planter des palmiers à huile, l'équivalent d'un terrain de foot de forêt vierge disparaît toutes les quinze secondes, se désespèrent-ils.
85 % du marché
L'huile de palme est si politiquement incorrecte que certains industriels font du "zéro huile de palme" un nouvel outil marketing. Las ! "Impossible de la supprimer, c'est la seule huile à donner au Nutella la texture voulue à température ambiante", plaide Luigia Parente, responsable qualité du site de production français. Ferrero travaille depuis plusieurs années sur d'autres huiles. En vain. Car, pour obtenir le même résultat, il faudrait les hydrogéner, et augmenter ainsi leur concentration de graisses saturées ou, pire, faire apparaître des acides gras "trans" encore plus redoutables ! Pour limiter la casse, la firme adhère, comme beaucoup d'industriels, à la RSPO (Roundtable on Sustainable Palm Oil), organisation chargée de mettre en place des pratiques de développement durable pour la production d'huile de palme. "La RSPO vise 100 % d'huile de palme durable pour 2015", affirme Jean-Marc Da Cunha.
En attendant, l'usine tourne à plein régime. En dix ans, sa production a doublé. Et ça n'est pas près de s'arrêter. Un coup d'oeil sur une photo aérienne du site montre que des agrandissements sont possibles, sinon prévus. "Certes, nous avons 85 % du marché de la pâte à tartiner au chocolat, mais nous ne sommes qu'à 35 % en considérant le marché de l'ensemble des tartinables : confitures, miel... et nous tombons à 6 % si on ajoute les produits solides du petit déjeuner. Cela nous laisse une marge de progression énorme !" s'enthousiasme le directeur général. Nous voilà prévenus.
lepoint.fr |
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