Pour ou contre la « poly-pilule »en prévention cardiovasculaire?
Publié par Rosette le Avril 21 2009 20:23:32
En 2003, Wald et Law publiait dans le British Medical Journal (1), un article dans le quel ils évoquaient l’idée de traiter des sujets à risque cardiovasculaire élevé par une combinaison...

Nouvelles étendues

En 2003, Wald et Law publiait dans le British Medical Journal (1), un article dans le quel ils évoquaient l’idée de traiter des sujets à risque cardiovasculaire élevé par une combinaison de molécules actives réunies dans un seul comprimé qu’ils baptisaient « polypill ».

Selon eux cette poly-pilule quotidienne, qui devrait faciliter l’observance, pourrait diminuer de 80 % les maladies cardiovasculaires (MCV) et ce à un prix modéré puisqu’elle combinerait des produits disponibles sous forme générique.

De cette idée, séduisante aux yeux de beaucoup, un groupe indien a tenté de faire une réalité. Ces auteurs viennent de présenter les résultats de la première étude de phase II conduite avec ce candidat médicament à l’American College of Cardiology et dans le Lancet (2). Et cette publication a suscité de nombreux commentaires, parfois enthousiastes, dans les médias grands publics.

Six produits actifs dans un seul comprimé

Qu’en est-il précisément ? La poly-pilule, qui répondra au nom commercial de Polycap, associe 12,5 mg d’hydrochlorothiazide, 50 mg d’atènolol, 5 mg de ramipril, 20 mg de simvastatine et 100 mg d’aspirine. Cet essai randomisé a inclus 2 053 sujets de 45 à 80 ans indemnes de MCV mais ayant un facteur de risque vasculaire (tabagisme, diabète de type 2, hypertension artérielle modérée (entre 140/90 et 160/100 mmHg), obésité androïde définie par un rapport taille sur hanche supérieur à 0,85 chez la femme et 0,90 chez l’homme ou dyslipidémie (LDL-cholestérol > 3,1 mmol/L ou HDL-C < 1,04 mmol/L). Ces sujets ont reçu en double aveugle durant 12 semaines l’un des 9 traitements suivants : soit un Polycap par jour (n= 412), soit de la simvastatine, de l’aspirine ou l’hydorchlorothiazide seule, soit une association thiazide-ramipril, thiazide-atenolol ou ramipril-aténolol, soit les 3 molécules ayant des propriétés antihypertensives, soit enfin une association des 3 antihypertenseurs à de l’aspirine. Les critères de jugement étaient la diminution du taux de LDL-C, de la pression artérielle, de la fréquence cardiaque, de l’élimination urinaire de 11-dehydrothromboxane B2 (pour les effets anti-agrégants de l’aspirine) et le pourcentage de sujets interrompant le traitement.

Des résultats sans grande surprise

Les résultats sont tout sauf surprenants. Dans les 8 groupes de comparaison avec le Polycap, les différentes molécules isolées ou associées ont eu leurs effets attendus : la statine a réduit le cholestérol, les antihypertenseurs la pression artérielle (plus en bithérapie qu’en monothérapie et plus en trithérapie qu’en bithérapie !), le bêta-bloqueur a ralenti la fréquence cardiaque et l’aspirine a eu un pouvoir anti-agrégant plaquettaire. Le Polycap a fait tout cela à des niveaux similaires à l’exception de la baisse du LDL cholestérol qui a été plus limitée qu’avec la simvastatine seule (- 0,70 contre – 0,83 mmol/L). Les causes de cette différence d’efficacité sur les lipides ne sont pas totalement éclaircies.

Une tolérance médiocre

L’étude de la tolérance de la poly-pilule était un élément clef de l’essai. Le taux d’arrêt des traitements a été élevé (14,8 % en moyenne) mais n’a pas été statistiquement différent d’un groupe à l’autre (16 % avec le Polycap, 22,5 % avec la triple association thiazidique, inhibiteur de l’enzyme de conversion, bêta-bloquant et 9,7 % avec la bithérapie thiazidique-IEC). Les effets secondaires ont été fréquents (et assez prévisibles) avec le Polycap : hypotension (6,3 %), toux (5,3 %), élévation de la créatinine de plus de 50 % (8,5 %), hyperkaliémie supérieure à 5,5 mmol/L (4,4 %), doublement des transaminases hépatiques (2,9 %).

A l’issue de cette étude, le Polycap a été présenté par certains médias grand public comme une « pilule miracle » qui permettrait de réduire à moindre coût la morbi-mortalité cardiovasculaire dans le monde. C’est également, à quelques nuances près, l’avis des promoteurs de l’essai et dans une moindre mesure de l’éditorialiste du Lancet, (3).

Un risque de régression médicale


Qu’on nous autorise une opinion moins enthousiaste.

Dans les pays occidentalisés tout d’abord, l’intérêt du Polycap ne saute pas aux yeux. Nous n’avons plus recours, en effet, à des officiers de santé mais à des médecins formés sur une décennie au moins qui peuvent identifier les facteurs de risque individuellement et y opposer, si nécessaire, les molécules qui ont fait la preuve de leur efficacité sans risquer une multiplication inévitable des effets secondaires. Pourquoi par exemple prescrire 3 antihypertenseurs à un sujet normo tendu alors que son seul facteur de risque serait le tabagisme ? On nous dira que certains patients à haut risque bénéficient déjà de ce type de poly-association. Mais il s’agit le plus souvent de malades fragiles, parfois en prévention secondaire, pour lesquels la posologie de chaque composant doit être adaptée au mieux par le praticien, en fonction de paramètres cliniques et biologiques individuels. Enfin, les taux élevés d’arrêt de traitement et d’effets secondaires (parfois préoccupants) observés dans cette étude sur une courte période laissent penser qu’à long terme, la tolérance et donc l’observance de cette pilule seraient en fait médiocres.

Dans les pays dits en voie de développement, un tel comprimé anti-tout pourrait, en théorie, être intéressant pour des raisons économiques et de logistique. Mais le Polycap (ou l’un de ses équivalents) ne pourrait être envisagé comme une solution globale à l’augmentation des MCV que dans des régions où l’on dispose d’infrastructures sanitaires minimales ne serait-ce que pour dépister (et y faire face) des baisses inquiétantes de la pression artérielle ou les élévations fréquentes de la créatinine ou de la kaliémie. On ne voit que trop en effet les effets désastreux que pourrait avoir la prescription au long cours de 3 antihypertenseurs sans aucune surveillance biologique à des millions de sujets normotendus. Mais là où des laboratoires d’analyse (et des médecins pour interpréter les résultats) sont accessibles à tous, n’est-il pas possible également de pratiquer une médecine individualisée ?

En tout état de cause, une étude évaluant le rapport bénéfice risque du Polycap au long cours dans régions disposant de différents niveaux de structures de santé parait indispensable avant d’envisager sa commercialisation.

Dr Céline Dupin