Le pouvoir des yeux contre les traumatismes
Publié par hammar le Avril 10 2010 14:27:19
Basée sur les mouvements oculaires, cette thérapie baptisée « EMDR » attire de plus en plus de psys et de patients. Révolutionnaire ?
Nouvelles étendues
Basée sur les mouvements oculaires, cette thérapie baptisée « EMDR » attire de plus en plus de psys et de patients. Révolutionnaire ?
Ils y viennent tous, ils s'y mettent tous, ils adhèrent tous, psychiatres, psychanalystes, médecins, et surtout patients… À quoi? À l'EMDR, qui n'est pas un parti politique mais une nouvelle technique thérapeutique (Eye Movement Desensitization and Retroprocessing) indiquée contre les traumatismes psychiques. Tous ces chocs du passé non digérés qui nous habitent au présent et qui «portent un grand “T” - viols, attentats, accidents - ou un petit “t” - disputes, humiliations, etc.», écrit le psychanalyste Jacques Roques (dans Découvrir l'EMDR, Interéditions), ont désormais intérêt à bien se tenir. L'arsenal pouvant venir à bout de leurs effets persistants (panique, phobies, images obsédantes…) est enfin arrivé.
En réalité, cela fait plus de vingt ans que cette thérapie en vogue a été découverte par une psychologue californienne, Francine Shapiro, qui en a pressenti les bénéfices lors d'une expérience personnelle. Contrariée et sujette à des pensées négatives alors qu'elle se promenait dans un parc de San Francisco, la jeune femme remarqua que ses sombres ruminations disparaissaient lorsque, de manière tout à fait spontanée, ses yeux faisaient des va-et-vient en diagonale, d'en bas à gauche vers en haut à droite.
De plus en plus consciente du processus en le répétant sur elle-même, elle se mit à le soumettre à ses proches et à des étudiants: «En travaillant avec les soixante-dix premières personnes, je découvris qu'il me fallait inventer une procédure allant avec les mouvements d'yeux pour dissiper durablement l'anxiété.» Peu à peu, cette découverte personnelle tout à fait inattendue se transforma donc en un modèle clinique à élaborer, une aventure que la psychologue a racontée dans un livre passionnant traduit en français en 2005, Des yeux pour guérir (Seuil).
Désormais, l'EMDR est une thérapie comportant huit phases très précises pour venir à bout des «mémoires de vie non retraitées physiologiquement stockées», comme les définit Isabelle Meignant-Ordoux, superviseur EMDR Europe. Elle a été utilisée partout dans le monde, pour des vétérans du Vietnam ou des réfugiés des camps palestiniens. Et aujourd'hui, pour tous ceux qui souffrent de crises d'anxiété, d'images obsédantes ou de sursauts émotionnels inappropriés à leur présent. Le docteur Michel Meignant, président de la Fédération française de psychothérapie et psychanalyse, est enthousiaste: «C'est David Servan-Schreiber qui a fait connaître cette technique en France. Auparavant, grâce à la psychothérapie de groupe, entre autres, j'avais des résultats avec mes patients, bien sûr, mais des résultats lents. Quant à moi, après vingt-neuf années de psychanalyse, j'étais encore hanté par la déportation de mes grands-parents et j'étais incapable de regarder le film Nuit et brouillard.»
Pour prouver l'efficacité de l'EMDR, Michel Meignant a parcouru le monde, filmé quelque 850 séances et s'est soumis lui-même à une séance éprouvante devant la caméra, où il retraverse ses souffrances familiales avant d'en sortir apaisé. Cela donne un documentaire convaincant, qui se clôt sur l'appel visionnaire de praticiens des «stimulations bilatérales alternées»: si l'on soignait tous les traumatisés de la Terre grâce à l'EMDR, nous pourrions tous nous donner la main et construire la paix… (Voir la bande-annonce sur le site www.la-legende-de-l-emdr.com)
Huit phases
L'association EMDR France enregistre de plus en plus d'adhérents et de formations. Ils étaient 50 en 2003. Ils sont plus de 700 aujourd'hui. Qu'est-ce qui fonde un tel succès? Sans doute l'intérêt pour les recherches croisées entre cerveau et psychisme: la technique EMDR se situe exactement au carrefour entre neurologie et psychologie. Autre élément attractif: une thérapie «brève», qui n'est cependant pas express et repose sur une vraie reconnaissance de la vie intérieure profonde du patient. «Nous ne savons pas combien de temps va durer la prise en charge, précise Michel Meignant. Car derrière un événement stocké dans une mémoire inadaptée à ce moment peuvent s'en dissimuler bien d'autres. C'est pourquoi l'EMDR traite à la fois les traumatismes isolés et les empoisonnements psychiques, lorsque des traumas comme l'inceste se sont répétés sur plusieurs années.» Enfin, il y a une mise en scène assez spectaculaire de la disparition du symptôme. Tous les patients témoignent: «Pendant la séance, je revivais les émotions pénibles, à peine supportables. En quittant le cabinet du psy, je pouvais raconter mes mauvais souvenirs sans en être bouleversé.» Le fil rouge des traumatismes que chacun porte en soi n'a pas fini d'être reconnu, et exploré.
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